La chanson du vin
Parmi les gazons
Tout en floraisons
Dessous les treilles, J'écoute sans fin
La chanson du Vin Dans les bouteilles.
L'Ode à l'Idéal
Au fond du cristal Coule embaumée.
La strophe bruit,
Et, limpide, suit Sa sœur charmée.
Les nectars vermeils
Chantent les soleils De la jeunesse,
Et tous les retours
Qui font nos amours Pleins de tristesse ;
Et le dieu cornu,
Le beau guerrier nu, Dans les mêlées,
Qui guide en rêvant
Des femmes au vent Échevelées ;
Le dieu des pressoirs
Qui, sous les pins noirs Du mont Ménale,
Fait, pendant la nuit,
Courir à grand bruit La bacchanale !
Et le tambourin
Des vierges sans frein Dans leurs querelles,
Qui, loin des regards,
Dans les bois épars S'aiment entre elles ;
Et le chœur dansant
Qui, rouge, et versant Dans son délire
Le sang et le vin,
Brise le devin Avec sa lyre !
Le Nectar nous dit :
Ô vous qu'engourdit La Poésie,
Plus de vains sanglots !
Buvez à mes flots La fantaisie.
Ne réservez plus
Vos vœux superflus Et vos tendresses
Pour les impudeurs
Et pour les froideurs De vos maîtresses.
Nos claires prisons
Montrent aux raisons Évanouies
L'âme des couleurs,
Du rhythme et des fleurs Épanouies !
Nos secrets plaisirs,
Nés dans les loisirs, Ont à s'accroître,
Pour les sens domptés Plus de voluptés
Que ceux du cloître.
Mais fuis, jeune élu,
Le bois chevelu, Le flot rapide
Et l'antre secret
Où te rencontrait L'Aganippide !
Le thyrse est levé.
Dans le lieu trouvé Pour les mystères,
Hurlent de fureur
Les vierges en chœur Et les panthères.
Privé de tombeaux,
L'impie en lambeaux Meurt comme Orphée.
Dans l'onde à la fois
Sa lyre et sa voix Pleure étouffée,
Tandis qu'au lointain
Bondit, le matin, Toute rougie,
En vociférant
Sur l'indifférent, La sainte Orgie !
Théodore de Banville (1823-1891)
Les Stalactites (1846)
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